Fabrication de la poutargue

La fabrication de la poutargue, que l’on nomme aussi boutargue, repose sur une tradition ancestrale. On admet généralement que cette façon de préparer et de conserver les poches d’œufs de certains poissons est à l’origine un savoir-faire apporté par les colons phocéens lorsque, poussés à l’exil par des conditions de vie difficiles dans leur patrie en Asie Mineure, ils sont venus s’installer sur les rivages de ce qui n’était pas encore notre Provence pour y fonder la ville de Massalia, qui deviendra Massilia à l’époque romaine, puis, enfin, Marseille. Nous remontons donc aux alentours de 2600 ans avant J.C. dans ce que l’on appelle la Grande Grèce. Mythe ou réalité ? Peu importe, mais cela montre à quel point cet artisanat est ancré dans la culture gastronomique méditerranéenne.

A notre époque la production de la poutargue se répartit autour de la Méditerranée, au Maroc, en Italie, en Turquie et en Grèce où l’on apprécie sa saveur puissante et iodée. En France, la zone où l’on produit traditionnellement la poutargue est très réduite, et se situe depuis le 16ème siècle autour de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône. A l’origine c’était les œufs de loup que l’on utilisait pour la préparation de ce mets, ils ont été supplantés de nos jours par ceux de mulet.

Bien sûr, chaque artisan, chaque fabricant conserve jalousement ses secrets de fabrication, par conséquent il ne nous sera pas possible de dévoiler ici les détails précis de la confection de ce mets si singulier. La recette exacte se transmet d’ailleurs oralement de façon à préserver la confidentialité des informations et des tours de main particuliers. En revanche, nous allons essayer de vous permettre de comprendre ce qui lui donne cette saveur inimitable qui justifie les surnoms de « caviar de la Méditerranée » ou de caviar martégal qu’on lui donne souvent.

La fabrication de la poutargue commence par la sélection des mulets, ou muges (mujous en provençal) dont on prélève la poche d’œufs. En effet, autrefois, on utilisait presque exclusivement des mulets de la pêche locale, autour de l’étang de Berre. De juillet à septembre, les femelles venaient frayer dans les eaux chaudes du canal de Caronte qui relie l’étang à la Méditerranée et les pêcheurs tendaient des filets, les calens, entre les deux rives du canal. A l’heure actuelle, cette pêche artisanale est très peu productive et les fabricants doivent s’approvisionner aussi à l’international, chez les pêcheurs de Mauritanie, d’Amérique du Nord et du Brésil. Ce sont ces deux dernières provenances qui sont à privilégier car la qualité de la poche d’œuf est meilleure et plus constante.

La poche d’œufs, nommée rogue, doit être extraite de la femelle avec précaution pour préserver son intégrité car elle est entourée d’une fine membrane qui ne doit pas être déchirée. Chaque poutargue est composée d‘une poche double qui constitue une jambe, et on ne dissocie jamais les deux éléments de la poche, ce qui donne à ce produit une forme oblongue caractéristique. La poche est d’abord nettoyée, salée puis séchée. Le salage a pour effet de « cuire » légèrement la poche que l’on rince ensuite. La qualité et la quantité de sel utilisées, le temps de salage font partie des secrets de fabrication et l’expérience, « l’œil » de l’artisan lui permettent de savoir quand il est possible de passer à l’étape suivante.

L’opération qui suit est délicate, car elle requiert beaucoup de doigté et de patience, c’est le déveinage, que l’on pratique aussi lorsqu’on prépare un foie gras. Il s’agit de retirer à la main les veines qui parcourent la poche. En effet, si, au cours de la préparation une veine est percée, le sang qui se répand donne une amertume qui altère la qualité du produit, ce que détectent les connaisseurs. Cette opération étant longue et délicate, tous les fabricants ne la pratiquent pas à l’heure actuelle, mais certains artisans la jugent indispensable car elle est un gage de qualité, comme nous l’ont expliqué Frédéric et Lucie Paez, de La Saveur des Calanques, qui perpétuent ce savoir-faire. La fabrication de la poutargue est une des activités principales de cette entreprise artisanale dont l’authenticité a été officiellement reconnue puisqu’ils ont reçu le label Entreprise du Patrimoine vivant.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’étape suivante nécessite l’usage… d’un rouleau à pâtisserie ! C’est en effet en exerçant une légère pression à l’aide de cet ustensile sur la jambe  de poutargue qu’on l’aplatit pour lui donner son apparence définitive.

Séchée à point, la poutargue pourra enfin être emballée et commercialisée, sous plusieurs formes. On peut tout d’abord la mettre sous vide dans une poche plastique, telle quelle. L’acheteur pourra ainsi apprécier au premier coup d’œil la régularité des deux éléments qui constituent la jambe et sa belle couleur ambrée, gage de qualité. D’autres la préfèrent cirée, c’est-à-dire enrobée d’une fine couche de cire blanche. Dans les deux cas, la maturation de la poutargue sera stoppée et le produit sera protégé de tout contact avec l’extérieur. Enfin, pour permettre son utilisation facile dans de nombreuses recettes de cuisine, on pourra la vendre râpée, plus ou moins finement, selon le, goût de l’acheteur et l’utilisation prévue, en sachets sous vide.

Maintenant que vous avez pris connaissance du processus de fabrication de la poutargue, il ne vous reste plus qu’à passer aux travaux pratiques en dégustant de la poutargue nature, coupée en fines tranches sur des toasts ou bien en assaisonnement de pâtes, de riz, d’omelettes ou de pommes de terre ! Vous pourrez laisser libre cours à votre propre créativité et vous régaler en régalant vos invités !

Menu